La plupart d’entre nous considèrent les polices comme quelque chose que les humains voient. Nous remarquons leur forme, leur voix, la manière dont elles véhiculent une humeur et une intention. Nous les choisissons pour exprimer une marque, une personnalité ou même une émotion.
Mais de plus en plus, les machines les « voient » aussi, simplement pas de la même façon que nous.
Lorsqu’un grand modèle de langage (Large Language Model) lit, il ne déchiffre pas des lettres et n’admire pas les ligatures. Il traite d’immenses motifs de tokens, de fragments de mots, de ponctuation, d’espaces et parfois même des données cachées décrivant la façon dont ces mots ont été rendus. Pourtant, quelque part dans cette abstraction, subsiste le fantôme du design. Chaque glyphe ayant façonné le texte humain, chaque décision de crénage, chaque équilibre proportionnel laisse une empreinte dans les données. Le modèle ne sait peut-être pas pourquoi un certain espacement améliore la lisibilité ou inspire confiance, mais il apprend que c’est le cas.
À mesure que les modèles d’intelligence artificielle évoluent, apprenant à partir de modèles, d’images, de vidéos et de textes stylisés, la typographie prend une nouvelle dimension. Une police à empattement dans une image devient alors plus qu’une simple décoration : elle devient donnée. La manière dont les lettres se forment, se superposent ou se déforment contribue à ce que la machine comprend de la communication, de l’esthétique et de l’émotion. Depuis des millénaires, la typographie a été façonnée pour servir la lisibilité et la compréhension humaines. Désormais, le design humain enseigne aux machines à lire l’humanité. Lorsqu’un modèle « voit » une affiche en Futura, une marque en Helvetica ou un article en Garamond, il apprend les codes latents du style et de la culture. Il apprend à quoi ressemble l’autorité. Il apprend à quoi ressemble l’élégance. Il apprend à quoi ressemble la confiance.
Cela ouvre des perspectives, mais aussi des responsabilités.
Le secteur créatif fait face à un nouveau niveau d’attribution. À qui appartient l’ADN esthétique dont les modèles s’inspirent ? Lorsqu’une police apparaît dans une image récupérée sur le web, les pixels peuvent refléter toute une vie de travail d’un designer. C’est pourquoi les licences éthiques sont essentielles, non seulement pour les designers et les marques, mais aussi pour ces nouveaux « lecteurs machines » qui dépendent de notre culture visuelle comme matière première. Chez Monotype, et plus particulièrement chez MyFonts, nous aidons depuis des décennies les humains à trouver la bonne police. Il est maintenant temps pour l’industrie typographique d’apprendre aux machines à la respecter.
Imaginez un futur où les polices sous licence seraient accompagnées de métadonnées structurées indiquant aux modèles d’IA ce qu’elles représentent, et pas seulement à quoi elles ressemblent. Un futur où un modèle pourrait apprendre, à partir de données autorisées, la paternité du design, la provenance, l’intention, la licence et les résultats.
La typographie a toujours été le reflet de l’intention humaine. Qu’elle soit gravée dans la pierre, fondue en plomb ou rendue en pixels, elle raconte comment nous transmettons le sens. Aujourd’hui, alors que l’IA apprend à nous voir, nous avons l’occasion de lui apprendre aussi à respecter ce qu’elle voit. Car au bout du compte, même lorsque les machines lisent le monde, c’est le design humain qui lui donne sa forme.

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